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Le soleil se couche sur le quartier français de la Nouvelle Orléans et au silence de la rue qu'imposait la chaleur d'un soleil cuisant se succède peu à peu l'effervescence qui chaque soir jusqu'aux petites heures du matin va s'emparer de la ville. La fraîcheur remonte peu à peu des rues qui donnent sur une des courbes du Mississippi que borde le quartier. Déjà les premiers volets de bois s'entrouvrent, laissant filtrer les quelques notes de musique, les quelques bribes de conversation.
Quelques passants arpentent les trottoirs mal pavés du vieux quartier, parmi eux quelques demoiselles dont les amples robes à froufrou, le maquillage extravagant et les larges vues plongeantes sur leurs décolletés ne laissent planer aucun doute sur leurs intentions. Mais qu'importe, ici personne ne s'en offusque, que du contraire cela fait partie de l'activité bouillonnante de la ville. A chaque étage, de larges galeries couvertes et mezzanine s'ouvrent sur la rue. De là, tous les habitants du quartier français participent à la fête nocturne qui se déroule à leurs pieds... artistes peintres, petit groupe de musique, vendeurs à la sauvette et joueurs de bonto. La rue en quelques minutes a pris des allures de rivière humaine où s'effacent les différences sociales et raciales... enfin presque, car de temps en temps des bandes de jeunes s'affrontent encore au nom de dieu sait quelles idées.
Soudain, sortant d'une bâtisse que vous preniez pour un bouge, sortent des notes de musiques d'un jazz band, malgré l'épaisse fumée qui enveloppe l'entrée du bar vous arrivez dans une petite salle ou vous tenez à peine debout à cause du trop grand nombre de personnes présentes. Là, dans la pénombre vous ne distinguer plus rien, aucun visage, uniquement de vague formes toutes tournées vers un seul point tout au bout de la pièce. Sur une petite estrade en bois, à peine éclairée par quelques lumières, plusieurs groupes se relayeront toute la nuit. Dès les premières notes, quelques cris de joie fusent dans la pièce à travers cette fumée de plus en plus épaisse que des dizaines de cigarettes et de cigares contribuent à former... et vous le sentez bien, le tabac n'est pas la seul chose qui se fume ici, mais qu'importe la musique est bonne et l'afro-américain à la contrebasse fait vibrer votre estomac en même temps que ces cordes. La tête remplie de sons et d'images, sublimer par quelques verres de cocktails à base de rhum à moins que vous ne préféreriez l'absinthe, vous arrivez à vous extirper du bar et la rue vous accueille, toujours aussi effervescente.
La foule vous entraîne plus loin, non dans les ruelles et venelles car c'est un endroit bien dangereux pour les étrangers, vers le centre du quartier français jusqu'à ce vous vous trouviez devant une maison semblable aux autres dont seul la drapeau de la Nouvelle Orléans laisse supposer sa destinée.
C'est ici, en plein coeur du quartier français, sur Bourbon Street que, comme un retour aux sources, le bureau de recrutement des Louisiana Gators a élu domicile. Vous ne l'aviez pas remarqué tout de suite mais à une des galeries de fer forgé qui à chaque étage surplombe le petit square trône encadré par des palmiers et fougères en vasques l'insigne de cette flottille.
Et le retour aux sources devient plus évident à mesure que l'on pénètre la maison. Au rez-de-chaussée de larges portes vitrées s'ouvrent sur ce qui avait du être un salon, transformé en large bureau qui devait être baigné de soleil. Sur le parquet en bois de la région se reflète ce soir la lumière d'un immense lustre en verre digne des plus grand châteaux français. Au mur, accrochée au dessus d'un feu ouvert n'ayant jamais servi, une large toile représente la prise de possession de la Louisiane et du Mississippi au nom de Louis XIV par Cavelier de La Salle, le 9 avril 1682 et à la suite de quoi, quelques années plus tard, les Français fonderont la ville de Bâton Rouge, située à peine à 80 miles de la Nouvelles Orléans.
Lui faisant face, une carte du Pacifique sur laquelle ont été pointées toutes les batailles au sein desquels la flottille à fait flotter son emblème. A côté, comme un appel aux lecteurs, une affiche interroge : serez vous le prochain à briller sous la bannière des Louisiana Gators dans le pacifique ? Are you next ?
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Quelque part à quai dans le Pacifique, à bord du USS Louisiana :
Le vieux cuirassé malgré son grand age et son déclassement avait encore fière allure sur les eaux chaudes du Pacifique. C'est d'ailleurs en partie pour cela, en plus du côté symbolique de son nom, que lorsqu'il fut question de son déclassement, la flottille des Louisiana Gators avait émis le souhait de transformer ce bâtiment en navire d'instruction pour ses jeunes recrues.
Pouvait-on d'ailleurs imaginer un environnement plus polyvalent que ce navire dont l'armement se composait de 4 tourelles triple de 406 mm, de 10 tourelles de 127 mm disposées sur bâbord et tribord ainsi que de nombreux postes de tir Bofors de 40 mm et Oerlikon de 20 mm ?
L'Etat major ayant été convaincu, il céda le navire pour le dollar symbolique promettant de fournir les munitions alors que la flottille assurerait la maintenance générale du navire, un deal où chaque partie y trouvait son compte.
Malgré l'heure plutôt matinale, une ombre arpente déjà le pont du USS Louisiana. Uniforme sombre et sobre, cette silhouette se reconnaît pourtant entre milles. Son couvre chef, plus que ses galons de premier-maître est craint et respecté et sa voix écoutée. Le Chief Petty Officer Callahan est ce qui se fait de meilleur. Quinze ans de service, des participations à ce que ces dernières années ont accouché de plus sales batailles et une connaissance accrue des armes en font, malgré ces manières tout droit sorties de la vieille école, un des sous-officiers les plus respectés de l'US Navy.
Ce matin là, la nouvelle promotion arrivait tout droit sorti de l'école militaire. Le premier contact était toujours rude, une habitude prise de mettre d'entrée les points sur les "i" avec sa voix qui portait loin, jusqu'au plus profond des recrues.
Je suis votre instructeur et j'aiderai chacun d'entre vous dans leurs efforts à devenir des marins motivés, physiquement et mentalement adaptés, capables de défaire n'importe quel ennemi.
J'instillerai la fierté dans tous ceux que je formerai. Fierté de l'individu, d'appartenir à l'armée, et fierté de sa flottille et de son pays. J'insisterai sur le fait que chaque marin réponde à la courtoisie élémentaire, compatible avec les traditions et les valeurs morales les plus élevées de l'armée américaine et de la flottille.
Je vous formerai par l'exemple, n'exigeant jamais d'un marin de faire ce que je ne ferais pas moi même.
Mais d'abord, pour la dernière fois, je suis un soldat américain, votre sergent et vous vous adresserez à moi en tant que tel.
Il prit un instant pour dévisager une à une ses nouvelles recrues. Ces dernières ne passeraient-elles pas au minimum deux semaines avec lui ? Il s'approcha d'une première recrue :
EST-CE QUE TU VEUX DEVENIR CAPITAINE DE L'US NAVY ? lui cria t-il dans les oreilles.
CHIEF, YES, CHIEF!
ET BIEN JE VAIS T'EN FAIRE BAVER JUSQU'A CE QUE TU SOIS PRÊT MA COCOTTE ET VU LA GUEULE QUE TU FAIS CA RISQUE PAS D'ÊTRE DE SI TÔT !
CHIEF, YES, CHIEF!
Il continua son tour, passant entre les rangs quand il aperçut une recrue féminine.
TIENS TIENS, ON DIRAIT QUE LE BUREAU DE RECRUTEMENT N'AVAIT PAS LES YEUX EN FACE DES TROUS QUAND ILS T'ONT ENGAGE, MA JOLIE! SI TU CROIS QUE TON JOLI PETIT CUL VA TE FAIRE AVOIR DES PASSE-DROITS, TU TE TROMPES! TU VAS EN CHIER AUTANT QUE LES AUTRES, MA COCOTTE! TU TRAÎNERAS DANS LA MÊME BOUE, TU BOUFFERA LE MÊME SABLE! POUR MOI, TU AS CESSE D'ÊTRE UNE GONZESSE AU MOMENT MÊME OU TU AS PLANTE TES MICHES DEVANT MOI! JE ME SUIS BIEN FAIT COMPRENDRE, COCOTTE ?
CHIEF, YES, CHIEF!
TANT MIEUX, PARCE QU'ON VA ÊTRE ENSEMBLE POUR UN BON BOUT DE TEMPS, BANDE DE LARVES. AUTANT VOUS PRÉVENIR TOUT DE SUITE : VOUS NE PASSEREZ OFFICIER QUI SI ET SEULEMENT SI CHACUN D'ENTRE VOUS ARRIVE A COULER CINQ CIBLES ! TANT QUE TOUTE VOTRE PROMOTION N'AURA PAS ATTEINT CE QUOTA VOUS RESTEREZ AVEC MOI! DONC, AFIN QUE JE N'AI PLUS A VOIR VOS SALES GUEULES, VOUS ALLEZ DEVOIR VOUS BOUGER LES MICHES!
ET CA COMMENCE MAINTENANT! VOUS AVEZ CINQ MINUTES POUR ENFILER LA TENUE DE SPORT ET RAPPLIQUER VOS MICHES DEVANT MOI POUR VINGT TOUR DE PONT AU PAS DE COURSE? MAGNEZ-VOUS LE TRAIN, BANDE DE GONZESSES!
CHIEF, YES, CHIEF!
répondit le groupe en coeur avant de détaller vers leurs chambre pour se changer. La dernière recrue partie, une esquisse de sourire se dessina sur le visage de Callahan. Pour eux le parcours du combattant allait commencer et ils allaient suer.